Roman vivant. L’adaptation du roman de Delphine de Vigan offre un rôle magnifique à la grande comédienne Catherine Hiegel. Michka, parolière à la retraite pour qui les mots ont une place centrale dans son existence, est victime d’aphasie. Avant de perdre totalement la parole, elle voudrait exprimer sa gratitude au couple qui a sauvé la petite fille qu’elle était. Elle est entourée de la jeune Marie qui lui rend visite tous les jours, et de Jérôme, l’orthophoniste qui s'occupe d'elle. Sur scène, le trio questionne la perte du langage, les souvenirs enfouis, le rapport au réel. Et puis chacun s’interrogera sur ses propres gratitudes : à qui doit-on dire merci avant de mourir ? Simplement bouleversant.
D’après Les Gratitudes de Delphine de Vigan
Mise en scène Fabien Gorgeart interprètes Laure Blatter, Catherine Hiegel, Pascal Sangla assistante à la mise en scène Aurélie Barrin adaptation Fabien Gorgeart, Agathe Peyrard création sonore et musique live Pascal Sangla dramaturgie Agathe Peyrard scénographie Camille Duchemin costumes Céline Brelaud création lumière et régie générale Thomas Veyssière collaborateur son Julien Lafosse Régie son Julien Lafosse en alternance avec Annabelle Maillard
©Jean-Louis Fernandez
Production déléguée CENTQUATRE-PARIS
Coproduction Le Méta – CDN Poitiers | Festival d’Automne à Paris | Le Théâtre de La Coupe d’Or – scène conventionnée de Rochefort | L’Espace 1789 – Scène conventionnée d’intérêt national Art et création – pour la danse de Saint-Ouen | Théâtre d’Angoulême – Scène nationale | Espaces Pluriels – Scène conventionnée d’intérêt national Art et création pour la danse de Pau
Roman vivant
Quand Delphine de Vigan m’a proposé d’adapter Les Gratitudes, elle m’a confié avoir eu envie de faire de cette matière d’abord une pièce de théâtre. Mais elle n’a pas osé aller au bout de son geste d’écriture et a finalement choisi de l’écrire sous forme de roman.
Il est évident qu’à la lecture du texte, cette tentative est là, comme enfouie dans le roman (que ce soit dans sa construction, l’unité de lieu, le traitement des personnages, et la grande présence du dialogue). Pour autant, et fort de l’expérience de l’adaptation de Stallone, le roman d’Emmanuèle Bernheim qui a été le moteur de ma première mise scène, je suis convaincu qu’il faut profiter de cette tentative avortée d’écriture théâtrale pour en tirer avantages et partis.
L’écriture de Delphine de Vigan est dynamique. Comme chez Emmanuèle Bernheim, ce sont des « romans vivants » à entendre autant qu’à lire.
Certes il y aura un travail d’adaptation plus important pour Les Gratitudes. Il faudra épurer, se réapproprier, préciser certaines des thématiques mais dans l’ensemble la base du texte qui sera joué sur scène par les comédiens, que ce soit les parties dialoguées ou narrées, sera d’abord puisée dans le roman tel qu’il est écrit.
Les personnages de Marie et Jérôme seront donc tout autant dans un récit distancié que dans le pur présent de leur échange avec Michka. Ils pourront par exemple, dans un échange avec Michka nous donner à entendre les didascalies. Michka, elle, sera le seul personnage non en charge de la narration. La parole de Michka ne sera qu’une adresse directe aux autres personnages. Car c’est le trajet de dislocation de cette adresse qui constituera un des enjeux du spectacle.
Récit de la Réparation / mise en scène de la Déconstruction
Les Gratitudes est d’abord un récit solide et émouvant sur la réparation. Que doit-t-on réparer avant de disparaître ? À qui doit-on dire merci avant de mourir ? Un propos qui peut paraître simpliste s’il n’était pas contrebalancé par une autre dynamique qui hante tout le roman et qui justifie, pour moi, sa mise en spectacle : Les Gratitudes sera avant tout une expérience de la déconstruction du langage, de la perte du rapport à l’autre qui en découle. Cela aura pour conséquence « spectaculaire » de troubler notre rapport au réel et la perception de ce qu’on le voit. Il s’agira de déconstruire le sentiment du temps présent du récit. Est-ce que tout ce qu’on voit est en train de réellement arriver ou n’est plus à la fin qu’une projection de l’esprit de Michka qui s’éteint ? Formellement esthétique, le spectacle essaiera donc de donner narrativement la sensation qu’il est une forme de cauchemar éveillé. En cherchant à incarner cette idée au travers de moyens modestes en scénographie et en s’appuyant surtout sur un travail de direction d’acteurs et d’actrices, d’univers sonore et de création lumière.
Perdre les mots / Disparition de l’acteur – Catherine Hiegel
Quand nous nous sommes rencontrés avec Catherine Hiegel, il est évident que c’est sur cette question de perte du langage que nous avons trouvé notre excitation commune à porter ce récit à la scène. Travailler sur la perte du langage c’est toucher du doigt la plus grande frayeur que cela peut être pour une comédienne / un comédien.
La perte du langage : de sa réalité à son cauchemar
Il s’agira surtout de rendre compte précisément, de manière documentée de ce qu’est l’aphasie dont est atteinte le personnage de Michka. En donnant à ressentir le vertige de ce que cela peut être pour quelqu’un de ne plus avoir accès à ses mots, et de perdre son lien avec les autres. Plus nous serons précis moins cette question de l’aphasie aura l’air d’être un simple effet poétique. Pour autant à travers cette précision nous ne refuserons pas une forme d’humour par l’absurde que cela génère de fait.Nous allons donc greffer au spectacle de réels travaux de recherches autour de l’aphasie – des passages seront inspirés de films institutionnels sur l’aphasie et de rencontre avec des professionnels de la santé. Concrètement et par rapport au roman, les séances de travail du personnage de Jérôme, l’orthophoniste, seront plus amples et documentées.
Les mots chantés / Retrouver les mots et s’éloigner du réel
Nous irons aussi explorer certaines des recherches qui ont été faites pour lutter contre la perte du langage chez l’être humain en musicothérapie. Des expériences montrent que des patients ayant subi un accident vasculaire cérébral retrouvent la parole en chantant ce qu’ils ne peuvent plus dire. C’est une piste, mais je souhaiterais pouvoir rendre ce phénomène palpable dans la pièce. On pourrait imaginer par exemple, que plus Michka perd son langage, plus ces expériences de musicothérapie troubleront notre perception des échanges entre les personnages. Imperceptiblement, il sera difficile de savoir s’ils sont chantés ou parlés. Cette idée thérapeutique, c’est-à-dire retenir le langage par le chant, concrétisera d’une certaine manière ce sentiment que nous quittons le réel. Un sentiment d’irréalité gagnera le spectacle. L’idée du lâcher prise avec le réel est une idée qui dictera la dramaturgie.
Mélange de la projection de la mémoire et du temps présent
Depuis ma première lecture, je n’ai eu de cesse de voir dans les échanges et la relation entre Marie et Michka un rapprochement avec l’une des madeleines de Proust de mon enfance, le dessin animé de René Laloux, coécrit par Moebius, Les Maitres du temps. Un dessin animé que je n’avais pas vraiment compris à l’âge où je l’ai découvert et je ne sais toujours pas aujourd’hui s’il m’a vraiment plu ou juste traumatisé. En tout cas, il porte en lui une grande charge mélancolique. Et surtout une idée très belle que je raccorde avec le roman : celle où le temps présent et le passé se mélangent à tel point qu’il n’est plus possible de les distinguer.
Perdre son rapport au réel, au langage, c’est aussi dans le roman l’endroit où la mémoire et le passé ressurgissent. Je crois qu’il faut, à travers le personnage de Marie et ses échanges avec Michka, flirter avec cette idée. C’est au travers du personnage de Marie que nous chercherons à incarner cela : un coup de théâtre spatio-temporel. À ce stade, ce n’est évidemment qu’une intuition, que nous vérifierons dans des étapes de recherche, mais nous allons travailler le personnage 11 de Marie comme si elle était une possible projection de Michka plus jeune. Sans jamais l’affirmer, il s’agira de créer un doute avec ça. Cette idée, enfouie dans le roman, sera un peu plus franche dans l’adaptation en mise en scène, toujours pour troubler notre rapport à la réalité d’un récit au présent. Est-ce que Jérôme et Marie, qui sont pourtant les narrateurs avérés du récit, ne sont pas les fruits de l’imagination de Michka ?
Travail de mémoire / L’histoire des enfants cachés pendant la guerre
Dans le roman, l’histoire de Michka est liée avec celle des enfants juifs cachés pendant la Seconde Guerre Mondiale, le « merci » que Michka n’a jamais pu dire, celui qu’elle doit aux personnes qui lui ont sauvé la vie. L’idée essentielle est, qu’au travers de Michka, la petite et la grande histoire entrent en collision, comme si l’aphasie était autant le trauma d’un individu que celui d’un trauma collectif. Cette notion, il faut la défendre, l’explorer mais aussi la préciser. Si dans le roman, le traitement de cette notion pourrait donner l’impression qu’elle est d’abord un outil narratif, nous essayerons dans le spectacle d’en faire une « idée force », véritable ressort scénaristique. A titre d’exemple, je souhaiterais faire du témoignage de Michka une valeur de réel plus qu’une simple clef narrative.
Delphine de Vigan
Après une formation au Centre d’Etudes Littéraires et Scientifiques Appliquées, Delphine de Vigan devient directrice d’études dans un institut de sondages. Sous le pseudonyme Lou Delvig, elle écrit son premier roman, d’inspiration autobiographique : Jours sans faim (2001), qui raconte le combat d’une jeune femme contre l’anorexie. Un recueil de nouvelles et un second roman suivront en 2005, publiés sous vrai nom. En août 2008, Delphine de Vigan se distingue avec No et moi ; ce roman, qui aborde le thème de la tolérance, recevra le Prix des libraires, le Prix du Rotary et sera adapté au cinéma par Zabou Breitman. Dans Les heures souterraines, publié l’année suivante et nominé au Goncourt, elle dénonce le harcèlement moral dans le monde du travail. En 2011 parait Rien ne s’oppose à la nuit (Lattès), qui sera lui aussi en lice pour le Goncourt. Ce roman, qui raconte les souffrances de sa mère atteinte de trouble bipolaire, est très largement salué par la critique et obtient de nombreux prix. Cette même année, elle co-signe avec Gilles Legrand, le scénario du film Tu seras mon fils. En 2013, Delphine de Vigan réalise son premier film, A coups sûr, (sortie en janvier 2014), dont elle cosigne -avec Chris Esquerre-, le scénario. En 2015, elle obtient le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens avec son roman D'après une histoire vraie (Lattès). En 2018, Delphine de Vigan écrit Les Loyautés (Lattès) qui décrit les liens invisibles entre les êtres. Un an plus tard, elle poursuit sur le thème des liens entre les êtres avec son roman Les Gratitudes (Lattès). Son dernier roman, les enfant rois (Gallimard) traite du sujet des enfants surexposés aux réseaux sociaux. Elle collabore avec Fabien Gorgeart sur Rien ne s’oppose à la nuit dont elle signe l’adaptation avec Elsa Lepoivre qui sera seule au plateau pour interpréter ce texte (septembre 2022 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française).
Fabien Gorgeart
Si Fabien Gorgeart a consacré ces vingt dernières années essentiellement au cinéma, le théâtre s’est présenté à lui très régulièrement, dès ses années de formation. Il a travaillé dès la sortie du lycée pour plusieurs compagnies de marionnettistes. Son parcours en cinéma commence réellement en 2007, quand il réalise son premier court métrage, Comme un chien dans une église (35mm, fiction qui obtient le prix France 2 à Cannes cette année-là). Il réalise ensuite quatre courts métrages entre 2009 et 2016, tous diffusés à la télévision française et primés dans de nombreux festivals internationaux, comme Le sens de l’orientation, prix du jury à Clermont Ferrand en 2013.
En 2013, il rencontre Clotilde Hesme sur un projet de court métrage pour une collection de Canal plus. Il imagine également pour elle le personnage de Diane a les épaules son premier long métrage, qu’il réalise en 2016, produit par Petit Film. Le film sort en salle en novembre 2017 en France, en Belgique, au Canada, en Australie et au Brésil et rencontre un succès critique. Fabien et Clotilde poursuivent leur collaboration, cette fois accompagnés de Pascal Sangla, pour le spectacle Stallone d’après l’œuvre d’Emmanuèle Bernheim, première mise en scène de Fabien créée au Théâtre Sorano à Toulouse en septembre 2019. Le projet est présenté dans la foulée au CENTQUATRE-PARIS dans le cadre du Festival d’Automne. Véritable succès public et critique, il joue plus de 150 fois en France et à l’étranger jusqu’en septembre 2022. Pascal Sangla est nominé pour le Molière du Comédien dans un second rôle tandis que Clotilde Hesme obtient le Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre public. Son nouveau long métrage La vraie famille est sorti en février 2022. Nominé et multiprimé dans de nombreux festivals en France et à l’étranger, La vraie famille reçoit entre autres le Valois du Jury au Festival du Film Francophone d’Angoulême. En septembre 2022, il met en scène au Studio de la Comédie-Française Rien ne s'oppose à la nuit, le roman de Delphine de Vigan. C'est la première collaboration entre Fabien Gorgeart et Delphine de Vigan avant Les Gratitudes.
Catherine Hiegel
Après avoir suivi les cours de Raymond Girard et de Jacques Charon, Catherine Hiegel est reçue en 1968 au Conservatoire national supérieur d'art dramatique, elle y parfait sa formation de comédienne dans les classes de Jean Marchat et de Lise Delamare. L’année suivante elle intègre la Comédie Française où elle excelle dans les deux répertoires classique et contemporain. Elle devient sociétaire de la Comédie Française en 1976, puis après sa mise à la retraite, elle est nommée Sociétaire honoraire en 2010.
Au cours de sa carrière à la Comédie-Française, elle joue de grands rôles du répertoire classique et contemporain, explorant toute la gamme de la condition féminine. Elle a été plusieurs fois nommée aux Molières, notamment en 2007 comme meilleur second rôle pour son interprétation de Marthe dans Le Retour au désert. En 2005, elle a reçu le prix du Syndicat de la critique comme meilleure comédienne pour J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne. Catherine Hiegel a quitté la troupe le 31 décembre 2009. En 2011 elle obtient le Molière de la meilleure comédienne pour son interprétation dans La Mère de Florian Zeller.
Outre son vaste champ d'interprétation, Catherine Hiegel a également signé plusieurs mises en scène dont Le bourgeois gentilhomme de Molière en 2011 et 2012. Elle a joué des rôles au cinéma à partir de 1986. On a pu la voir notamment dans La vie est un long fleuve tranquille d’E.Chatiliez, dans les films de Josiane Balasko comme Ma vie est un enfer, Gazon maudit, ou encore Cliente. Elle a tourné avec Bertrand Blier dans Les Côtelettes et dans les films de Jean-Jacques Zilbermann Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes ainsi que L'homme est une femme comme les autres.